On a demandé à Claire Delfosse et Benoît Coquard de croiser leur regard sur la question rurale. Elle est géographe, il est sociologue. Les différences ne s’arrêtent pas là, mais ils ont en commun de s’attaquer aux mythes des ruralités françaises. Loin des fantasmes, cet entretien s’arrête sur la force des liens et de l’engagement local – deux ingrédients qui traversent notre dossier. Et si les ruralités n’attendaient pas d’être sauvées ?
Qu’y a-t-il de commun entre Bergheim, cœur viticole et touristique de l’est de la France, Saint-Loubès, petite ville en périphérie de Bordeaux et Faux-la-Montagne, village de 400 habitants au coeur de la Creuse ?
CD : Comme je suis géographe, je dirais que ce qui caractérise le rural, c’est la densité, donc une faible concentration de population. C’est une caractéristique qui engendre des modes de vie spécifiques. Alors bien sûr certains sociologues diront qu’on a des modes de vie similaires qu’on habite en ville ou à la campagne, mais en pratique cette faible densité implique des rapports différents à l’espace comme une mobilité différente ou un nombre de voitures par ménage plus important qu’en ville. Ce qui distingue aussi ces espaces ruraux, c’est la très nette domination de la maison individuelle et le fait qu’une grande majorité des habitants soient propriétaires.
BC : J’ajouterais qu’à l’échelle des espaces ruraux, sans les différencier, il y a une plus forte présence de catégories sociales dites populaires et une moindre présence de cadres et de professions intellectuelles supérieures. Pourquoi ? Parce que les marchés de l’emploi dans les zones rurales, y compris celles et ceux qui sont les plus liés aux métropoles et aux villes, sont moins pourvus en métiers nécessitant davantage de diplômes. Ils accueillent plutôt des métiers manuels, tous ces métiers qui ne se télétravaillent pas, comme on l’a vu pendant le covid. On retrouve ça dans des campagnes en déclin, comme celles sur lesquelles j’enquête, mais aussi dans des campagnes attractives.
Vous parlez de ruralité en déclin et de ruralité attractive, quels problèmes rencontrent les espaces ruraux ?
BC : Dans les campagnes en déclin le problème vient des crises qui ont affaibli les petites et moyennes industries, cela date du choc pétrolier à la fin des années 70 et de la crise de 2008. Dans ces territoires, il y a peu de perspectives nouvelles d’emploi et en parallèle, un phénomène de démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur qui fait qu’une grande partie des jeunes du coin vont obtenir des diplômes, mais comme ces diplômes sont peu valorisés sur le marché du travail rural, alors ils quittent le secteur et cela nourrit le déclin démographique.
CD : Je nuancerais par rapport à Benoît sur l’emploi. Par exemple, dans le Haut-Doubs, on a de l’emploi industriel très fréquent dans les communes. J’habite Bourg-en-Bresse, c’est un secteur qui n’était plus dans le rural dit « vivant », mais je vois qu’il y a des communes où il y a des dynamiques d’emplois industriels, dans le plastique, les scieries à bois.
Comment vont les ruralités attractives ?
BC : Dans les campagnes attractives, ce qu’on voit, c’est une forme en fait de concurrence à l’accès au logement. Des collègues parlent du phénomène de gentrification rurale, avec des jeunes qui commencent à habiter en caravane dans le jardin des parents, des difficultés à s’installer, que ce soit pour s’installer en agriculture ou ailleurs.