Elle est la première d’un classement qui n’en est pas un. Diariata N’Diaye est l’un des 50 visages de notre mosaïque de l’engagement. Elle se bat contre les violences sexuelles et sexistes, des violences qu’elle a subies, qu’elle a transcendées par l’écriture et qu’elle veut aujourd’hui prévenir grâce à l’association Résonantes.
Est-ce que vous pouvez me dire comment est née l’idée de cette application App-Elles que vous avez créée ?
Cette application est née de mon expérience et de mon expertise de terrain sur ces sujets. À la base, je suis artiste, je suis devenue activiste et je me définis aujourd’hui comme « artiviste ». J’utilise l’art pour sensibiliser aux violences sexistes et sexuelles. Il y a un peu moins de vingt ans, j’ai écrit un premier spectacle, très naïvement, un spectacle sur ces violences.
Je suis allée le jouer auprès de collégiens et lycéens et, dès la première représentation, je me suis retrouvée avec une file de jeunes qui m’attendaient pour me raconter les violences qu’ils subissaient. J’ai abordé ce sujet parce que j’ai moi-même été concernée pendant mon adolescence, j’ai subi différentes formes de violence, mais je ne savais pas que ça concernait autant de monde. Donc, j’y suis allée sans trop savoir dans quoi je mettais les pieds. Et, très rapidement, j’ai vu que ça fonctionnait d’utiliser l’art pour sensibiliser le public. Tous ces témoignages que je recevais à la fin des représentations me le démontraient. Et c’est ce que j’ai fait pendant plus d’une dizaine d’années, aller parler de ces sujets, sensibiliser, parler des solutions.
Et, à force de constater que – entre la situation des personnes que je rencontrais et celle que j’avais moi-même vécu des années avant – rien n’avait sensiblement changé, j’ai voulu aller plus loin. Quand on subit des violences, on a l’impression que les solutions n’existent pas, on se sent seul, alors qu’il existe des lieux, des démarches à effectuer… Il y a plein de personnes qui savent comment aider les victimes.
Et de tout ça est née l’application App-Elles, afin de répondre aux problématiques de toutes ces personnes croisées au cours de mes interventions et que je continue à croiser tous les jours, en leur donnant de l’information sur ce que sont les violences et les conséquences qu’elles ont sur la santé, et puis surtout en leur disant qu’elles ne sont pas seules et qu’elles en soient conscientes.
L’application leur donne la possibilité d’appeler à l’aide quand elles sont en difficulté et d’entrer en contact avec tous les professionnels qui peuvent les accompagner dans leurs différentes démarches.
App-Elles, ça n’est pas qu’un dispositif technique d’alerte ingénieux, le coeur du projet, c’est de dire aux personnes victimes de violences qu’elles ne sont pas seules ?
C’est, je pense, le message le plus important à entendre quand on est victime de violences. Mais au-delà du fait de l’entendre, il faut que ça soit réel ! Parce que dans les faits, on est seul, on a l’impression en tout cas de l’être. On a l’impression d’être le seul ou la seule à vivre ce qu’on vit. On a l’impression qu’on va être seul à trouver des solutions. On a l’impression que personne ne va nous comprendre ou nous aider, alors que c’est faux. Dans les faits, c’est toujours compliqué, les parcours peuvent être longs, mais on n’est pas seuls et ce message que l’on porte il fallait qu’il devienne concret. Avec cette application, c’est concret ! C’est-à-dire qu’on peut compter sur des proches ou des professionnels en cas de difficultés, avoir des interlocuteurs tout simplement, et ça, ça change tout. Ça demande beaucoup d’énergie d’être victime de violence, c’est épuisant. Si on peut faciliter toutes les démarches vers cet accès à l’aide, ça me paraît essentiel.
Beaucoup de personnes sont ou ont été victimes de violences comme vous l’avez été. Toutes ne vont pas s’engager pour autant comme vous l’avez fait. Qu’est-ce qu’il y a, à l’intérieur de Diariata, qui fait que vous vous êtes lancée dans ce combat ?
C’est parce que j’en sais trop. En fait, c’est ça le truc ! En réalité, c’est peut-être même égoïste, je le fais pour dormir. Pour pouvoir me regarder dans la glace. Pour me sentir bien avec moi-même. Parce que quand on est face à autant de témoignages, quand on est face à une telle réalité, on n’a pas d’autre choix que d’essayer, en tout cas à son niveau, de faire quelque chose.
Je l’ai fait avant tout pour moi et ma conscience. Je le fais parce que j’ai des enfants, et c’est aussi ma façon de les protéger, faire avancer ce combat-là, pour qu’ils n’aient pas à subir ces violences. Je le fais évidemment pour toutes les victimes qui n’ont pas la force de le faire, qui ont été écrasées par le poids de ce qu’elles ont subi. Et puis, je le fais à ma façon. C’est-à-dire que j’ai choisi mon engagement. À la base, j’aime l’écriture, j’aime la musique, j’aime le slam, j’aime le rap, j’aime l’art de façon générale, donc j’utilise l’art pour sensibiliser. Je le fais à travers le numérique, parce que ça me permet aussi de toucher un large public et de voir de façon concrète que des gens l’utilisent.
J’ai besoin de voir que je sers à quelque chose dans ce combat. C’est ce qui me permet d’avoir la force et l’énergie de continuer parce que sinon ce serait trop déprimant. Si je ne voyais pas le résultat, je ne suis pas sûre que je serai là encore à me battre. D’ailleurs, il y a plein d’endroits dans lesquels je ne serais pas à l’aise. Je ne pourrais pas être « écoutante » par exemple. J’admire les professionnels qui sont derrière les lignes d’écoute parce que moi je ne pourrais pas le faire.
Et puis, je choisis le public avec lequel je travaille, les plus jeunes parce que j’ai besoin de sentir que mes actions provoquent une réaction. Avec les jeunes, je sais que j’ai un bon relationnel, j’ai une bonne vision et j’aime travailler avec ce public. Ce sont les adultes de demain et je trouve ça cool en fait de semer des graines. Et, comme en plus, je vieillis, je commence à voir des résultats sur le long terme avec des personnes que j’ai rencontrées il y a quinze voire vingt ans. Et ça, c’est cool !
Ils vous appellent Madame, maintenant ?
Ouais grave ! (elle rit) Et franchement je le vis très très bien. Et en plus, très vite, ils ne m’appellent plus Madame, mais Diarata, je leur donne mon prénom et on se tutoie. Et puis en réalité je le vis vachement bien d’être une Madame, je trouve ça très cool. […]