L’histoire de Tajamul Faqiri-Choisy et de Dominique Choisy est avant tout l’histoire d’une rencontre. Celle d’un adolescent venu seul de Kaboul et d’un réalisateur d’Amiens qui ne se voyait pas vraiment avoir d’enfant. Celle de deux personnes qui se trouvent alors que rien ne les y prédestinait (même si Taj dira que c’était écrit), qui se choisissent et s’adoptent.
Je rejoins Taj en terrasse. Il fait soleil. Il est au téléphone et me fait signe de le rejoindre avec un grand sourire. Quelques jours plus tard, le visage de Dominique apparaît sur mon écran l’ordinateur. Dans les deux cas, ce sont eux qui lancent la conversation. Je n’ai pas le temps de poser la première question. Ils m’embarquent dans leur histoire, chacun à leur manière. Dominique me parle du passé, Taj de l’avenir.
Il y a une dizaine d’années, Taj arrive en France après un long et périlleux trajet depuis l’Afghanistan, son pays d’origine. Il a alors 14 ans. Pris en charge par l’État, il vit dans un foyer pour mineurs isolés et est scolarisé. Dans le cadre d’un stage de 3e chez France Télévisions, il rencontre Dominique. Immédiatement, il se passe quelque chose entre eux. Quelque temps plus tard, Dominique dit à des amis: « Je ne peux pas l’expliquer, mais je crois que je suis en train de devenir le père de quelqu’un. »
Taj et Dominique passent beaucoup de temps ensemble. Les week-ends, au lieu de rester seul au foyer, le jeune garçon rejoint Dominique qui l’aide à apprendre le français. Les éducatrices responsables du foyer voient qu’un lien fort se tisse entre les deux et aident Dominique à trouver un statut légal dans la vie de Taj. Il devient alors « tiers digne de confiance avec autorité parentale ». Rapidement, Taj subit une opération. C’est sa troisième depuis qu’il est arrivé en France les pieds en sang, séquelles du voyage. Il passe sa convalescence chez Dominique et n’en repartira pas. Quand il fête ses 18 ans, Dominique devient officiellement son père adoptif.
« Je voulais m’instruire pour venir en aide aux autres. » Après un bac général – ce qui n’était pas gagné « quand tu es migrant, on t’oriente forcément vers le lycée professionnel. Mais je savais ce que je voulais faire et que jamais je n’y arriverais avec un bac pro. Donc j’ai insisté.» –, il part travailler en Allemagne. En 2019, alors qu’il rentre en France pour poursuivre ses études, il se dit : « C’est maintenant. Je suis prêt. Je parle français, je connais le système donc je vais y aller.» Taj entame simultanément une double licence et un dut. Il ne chôme pas et se donne les moyens d’arriver à ses objectifs. En parallèle de ses études, il réalise un service civique auprès de la préfecture d’Île-de-France pendant lequel il constate qu’il n’y a rien de mis en place pour enseigner le français aux migrants. Sachant à quel point maîtriser la langue est un élément clé pour s’intégrer, il s’intéresse à la question. Les migrants arrivent dans des centres d’accueil de jour le matin, se douchent, mangent et patientent toute la journée avant de devoir repartir dans la rue à la fermeture. Taj obtient la permission d’ouvrir une salle de classe dans un de ces lieux. Au bout de trois jours, plus de 100 personnes sont présentes lors des cours. Suite à cet engouement et grâce au travail de Taj, la préfecture fera passer un décret disant que toute association d’aide aux migrants subventionnée par l’État a l’obligation de donner des cours de français. […]
Par Méline Laffabry