Pierre-Guillaume Poureau est médecin militaire, oncologue au CHRU de Brest, mais aussi passionné de montagne. Parce qu’il est convaincu qu’une ascension aide à « réaliser qu’un objectif paraissant hors de portée est en réalité atteignable », il a décidé d’emmener six de ses patients – âgés de 40 à 68 ans, atteints d’un cancer ou étant en rémission – gravir le pic de l’Étendard, dans les Alpes, en juillet prochain. Au programme : des heures de rando pour se dépasser, et se reconstruire sur les sentiers de la résilience. Entretien.
Comment vous est venue cette idée d’emmener vos patients gravir le pic de l’Étendard ?
J’ai eu la chance d’assister à une conférence de Christine Janin (médecin et alpiniste fondatrice de l’association À chacun son Everest) qui m’a beaucoup marqué. Et son projet d’emmener des enfants leucémiques et des femmes en rémission d’un cancer du sein gravir des montagnes m’a toujours beaucoup inspiré. Je voulais faire la même chose, mais avec des patients atteints d’un cancer digestif, à qui l’on ne propose généralement pas ce genre de défi. Le déclic est venu lorsqu’un de mes patients, passionné de montagne comme moi, m’a raconté qu’il s’était arrêté au pied du glacier (le pic de l’Étendard, ndlr.), parce qu’il ne se sentait pas capable d’aller jusqu’au sommet.
Comment vos patients ont accueilli ce projet ?
Ils ne s’y attendaient pas. Ils étaient surpris pour la plupart, et certains appréhendaient. Mais, aujourd’hui, l’idée ayant fait du chemin dans leur esprit, ils sont plutôt enthousiastes et engagés dans le projet. Ils prennent ce défi comme une marque de confiance en leur santé, et en leur capacité à pouvoir le faire. Ils se projettent aussi dans l’avenir. Cela se manifeste d’ailleurs dans leur préparation et dans l’évocation-même de cette ascension aujourd’hui. Leur façon de parler ou d’appréhender leur cancer a changé, il y a moins de tabous. Ils portent un regard différent sur leur maladie.
Une ascension faite par et pour les patients.
Justement, en quoi ce type d’ascension peut-il agir sur la santé et le moral de vos patients ?
Je prends souvent l’exemple de la montagne, quand je parle des traitements contre le cancer. Ce n’est pas facile de grimper une montagne. Il y a plusieurs étapes et des difficultés : c’est haut, on peut avoir le vertige, il y a des passages qui peuvent être angoissants. Il faut donc aller chercher au fond de soi des ressources que l’on croit ne pas avoir.
Au-delà du défi physique, il y a aussi cette relance sur soi-même, cette capacité à faire des choses que l’on ne soupçonne même pas pouvoir faire. À mon sens, cela fait partie de la reconstruction dans l’après, ou même le pendant-cancer, dans la reconstruction de l’image que l’on a de soi, dans la confiance en soi.
C’est aussi une ascension faite par et pour les patients, qui leur permet de de devenir acteurs de leur parcours de soin en quelque sorte.
Arriver au sommet permet donc de retrouver confiance en soi, de mieux de reconstruire…
Oui, une fois là-haut, c’est grisant. On goûte à ce pourquoi on est venu marcher pendant plusieurs heures. On est fier, on ressent la joie d’avoir su surmonter les difficultés. Il y a une sorte d’aboutissement. On prend ou on reprend confiance en soi, c’est indéniable.
Mais, une fois arrivé au sommet, ce n’est pas fini. On ne peut pas s’y éterniser, au risque de se refroidir ou que la glace ne dégèle. Il faut donc redescendre, et ce n’est pas si simple. C’est aussi un parallèle que je fais avec la maladie. Lorsqu’on termine le traitement, on se retrouve dans la vie active : on est moins suivi, on est forcément un peu plus seul, et donc en proie aux doutes ou aux appréhensions. L’après-cancer est une étape délicate qui peut être difficile. C’est en cela que la descente du pic sera tout aussi importante que l’ascension.
L’association Étendard du cancer digestif
Pour mener à bien son projet, Pierre-Guillaume Poureau a fondé une association baptisée Étendard du cancer digestif, et compte bien pérenniser ce type d’ascension tous les ans, et avec davantage de patients. Il s’agit d’une démarche personnelle de cancérologue, totalement indépendante de l’hôpital dans lequel il exerce.