Président du mouvement Les Engagés, cofondateur de l’ONG A Voté, de l’application Elyze, et coauteur du livre Génération engagée, Grégoire Cazcarra multiplie ses engagements, mais toujours autour d’un même combat : celui de réduire l’abstention des jeunes. Un enjeu crucial pour la démocratie, et ce, à 13 jours du premier tour de de l’élection présidentielle, où l’abstention pourrait justement atteindre un record, selon une récente étude de l’institut Ipsos-Sopra Steria.
Grégoire, d’où vient ta soif d’engagement ?
J’ai toujours été engagé d’une façon ou d’une autre, même pour des petits projets au collège ou au lycée. Quand j’étais plus jeune, je tapais déjà à la porte des associations pour essayer d’être utile. Mais le vrai détonateur de mon engagement a été l’élection présidentielle de 2017, marquée par un taux d’abstention record chez les jeunes. Je me suis rendu compte qu’il y avait un vrai problème : pourquoi des jeunes qui viennent tout juste d’obtenir le droit de vote éprouvent déjà une sorte de désillusion vis-à-vis de la politique ?
J’ai donc décidé de monter, la veille de ma dernière épreuve du bac, le projet Les Engagés à Bordeaux. Un mouvement citoyen et apartisan ayant pour objectif de réconcilier les jeunes avec le débat d’idées et l’engagement citoyen. On organise, par exemple, des visites de lieux institutionnels avec les jeunes. On leur fait découvrir le Sénat, l’Assemblée nationale, les mairies de leurs communes. On les fait dialoguer avec des élus. C’est très utile à la fois pour les responsables politiques – ils l’avouent eux-mêmes : ils ne comprennent pas toujours les préoccupations de la jeunesse et peuvent se sentir déconnectés -, mais aussi pour les jeunes qui ont l’opportunité de poser leurs questions aux élus, et de comprendre ce qu’ils font au quotidien.
Dire qu’il faut aller voter parce que c’est important ne suffit plus.
L’ONG A Voté, dont tu es l’un des 11 cofondateurs, est également née d’un record d’abstention, celui des dernières élections régionales cette fois-ci…
Exactement. Quand on regarde les chiffres de l’abstention à ces élections, on constate qu’elle atteint 87 % chez les 18-24 ans au premier tour et 83 % au second tour. Or, on sait que c’est à 17-18 ans que tout se joue, au début du parcours de citoyenneté. Les différentes enquêtes sociologiques montrent que si vous n’allez pas voter lors de vos premières élections, il y a très peu de chances que vous y alliez ensuite.
Avec 10 autres citoyens engagés, on a donc lancé A Voté, dont le pari est de devenir la première ONG française dédiée à la défense des droits civiques et du progrès démocratique. Nous allons mettre en place des outils concrets pour lutter contre l’abstention.
Quel genre d’outils ?
Le premier outil, ce sont les réseaux sociaux. Même s’ils sont déjà utilisés aujourd’hui, pour les campagnes gouvernementales notamment, c’est souvent inefficace, car les messages déployés sont trop institutionnels et ne parlent pas aux jeunes. Dire qu’il faut aller voter parce que c’est important ne suffit plus. Il faut donc utiliser les réseaux sociaux différemment pour créer des interfaces de dialogue qui permettent aux jeunes de s’exprimer et de comprendre en quoi le vote est utile.
Le second outil, c’est le terrain. On va organiser des campagnes de porte à porte partout en France. On ne le fera pas seuls, mais avec des associations qui sont déjà sur place depuis des années. Il y a Les Engagés, qui font partie de notre conseil associatif, mais aussi des structures qui se battent pour l’égalité des chances dans les quartiers populaires, d’autres qui le font dans les zones rurales. S’appuyer sur cet écosystème associatif permet de cibler les bons territoires et, surtout, notre grande priorité qui est la jeunesse.
Ainsi, par le dialogue, on pourra casser cette défiance que les jeunes ont vis-à-vis du vote, mais on ne pourra pas immédiatement résoudre le problème plus large de défiance vis-à-vis des politiques. À court-terme, de toute façon, ce n’est pas notre rôle.
Les politiques s’adressent en priorité à leur segment électoral. Si les jeunes ne votent pas, leurs préoccupations n’intéresseront pas les politiques.
Justement, cette défiance vis-à-vis des politiques ne constitue-t-elle pas le principal frein au vote des jeunes ? Pourquoi ne vont-ils pas voter selon toi ?
Ils pensent que le vote est inutile. Quel que soit le représentant politique pour lequel ils vont voter, ils ont la sensation que rien ne changera, qu’il n’y aura pas d’impact concret dans leur quotidien. Il faut donc faire de la pédagogie, en expliquant à quoi servent les différentes élections.
Il faudrait aussi davantage de démocratie participative, faire en sorte que la démocratie soit permanente. Si vous dites à un jeune : « Votez, puis circulez, il n’y a rien à voir pendant 5 ans », il n’aura pas envie d’aller voter. En revanche, s’il sait qu’il peut être impliqué dans les décisions, s’il peut participer à des budgets participatifs ou à des projets pour lesquels il doit voter dans sa commune, il se sentira concerné, et peut-être ira-t-il participer aux différentes élections.
Les jeunes générations sont très concernées par l’urgence climatique. Serait-ce un levier pour les inciter à se déplacer vers les urnes ?
Difficile à dire. Les mouvements de jeunes citoyens autour des questions climatiques sont des réactions au sentiment que le politique est devenu impuissant. Il y a une forme de frustration, car on parle de problèmes écologiques depuis des décennies, et on a l’impression que les politiques menées jusqu’ici n’ont abouti à aucun changement structurel. Nous sommes face à un danger colossal, qui va constituer le défi majeur de notre génération, et on a en face de nous des responsables politiques aux manettes qui considèrent souvent l’urgence climatique comme un nano problème. Donc les jeunes cherchent d’autres façons d’être utiles, sur les réseaux sociaux ou en organisant, par exemple, des Marches pour le climat.
Mais cela ne suffira pas. Le vote est le dernier maillon de la chaîne, qui est la prise de décision politique. Si l’on reste en dehors du champ politique et du champ démocratique, on n’arrivera pas à convertir ces mobilisations en actes concrets politiques. Il faut savoir que les politiques s’adressent en priorité à leur segment électoral. Si les jeunes ne votent pas, leurs préoccupations n’intéresseront pas les politiques.
Si les jeunes ne vont pas voter, ce n’est pas parce qu’ils ont la flemme ou qu’ils sont égoïstes. Ce genre de discours est inaudible.
Quels stéréotypes sur les jeunes entends-tu le plus souvent et comment y lutter ?
Plusieurs à vrai dire. Mais les plus importants sont ces stéréotypes artificiels qui dépeignent notre génération comme étant désabusée et individualiste. Si les jeunes ne vont pas voter, ce n’est pas parce qu’ils ont la flemme ou qu’ils sont égoïstes. Ce genre de discours est inaudible. Les jeunes sont, au contraire, extrêmement lucides et profondément engagés.
Quelle autre action pourrait-on mener pour qu’il y ait plus d’implication des jeunes dans la chose publique ?
Les jeunes sont trop invisibilisés aujourd’hui en France. Par exemple, à peine 1 élu sur 10 a moins de 30 ans dans les conseils municipaux. Comment voulez-vous que l’on ait des politiques locales adaptées à la jeunesse s’il n’y a pas de jeunes au seins des conseils ? Idem dans les médias : comment voulez-vous que les jeunes s’intéressent aux médias traditionnels s’il n’y a pas de jeunes invités sur les plateaux ? Quand on parlait de détresse étudiante au plus fort de la crise du Covid, il n’y avait pas un jeune invité pour en parler sur les plateaux.
Enfin, ce que je veux dire aux jeunes tient en quelques mots : prenez le pouvoir ! Si vous ne votez pas, les politiques ne vous considèreront pas dans leur programme et il n’y aura pas de conséquences politiques de nos mobilisations. Le vote n’est pas un outil suffisant à lui seul, mais il reste incontournable.