Isaac Getz est professeur à l’ESCP Business School et expert du leadership et de la transformation organisationnelle des entreprises. Il est l’auteur, avec Laurent Marbacher, de L’entreprise altruiste, publié chez Albin Michel. Une expression qui décrit une philosophie d’entreprise tournée vers le bien commun. Explications dans cet entretien.
Comment définissez-vous l’entreprise altruiste ? L’expression peut sembler paradoxale. On dit bien plus facilement d’une personne qu’elle est altruiste, beaucoup moins d’une entreprise qui est traditionnellement plus tournée vers elle-même et sa recherche de profits. En tant qu’experts de la transformation des entreprises, notre curiosité nous a poussés à étudier des entreprises qui avaient comme point commun de se mettre au service des membres de leur écosystème – leurs clients, fournisseurs, communautés locales – à travers leurs activités de cœur de métier et ceci de manière inconditionnelle. Nous avons observé cette philosophie tournée vers l’autre dans des entreprises de toute taille, de tout secteur, de la multinationale à la PME, situés sur trois continents. Il ne s’agit pas de philanthropie ou d’entrepreneuriat social. Ces entreprises suivent les règles de l’économie de marché, mais elles ont comme finalité de contribuer à la société. C’est le cas, par exemple, de cette banque suédoise Handelsbanken dont les conseillers se positionnent comme des médecins de famille qui font tout pour la santé – financière – de leurs clients. Cette démarche fait que cette banque est la plus profitable de toutes les banques suédoises depuis plus de 40 ans.Comment une entreprise décide-t-elle de devenir une entreprise altruiste ? L’impulsion est donnée par un leader qui souhaite que son entreprise soit au service du bien commun. Qu’ils soient autodidactes ou diplômés de grandes écoles, ces dirigeants partagent une vision similaire. Ils font le pari de l’altruisme et demandent à leurs salariés de tout faire pour le bien des membres de l’écosystème de l’entreprise. C’est un pari qui, comme nous l’avons découvert, se révèle gagnant sur le plan économique. Ils obtiennent la performance économique sans la rechercher. Ils acceptent aussi d’être vulnérables car la confiance absolue peut donner lieu à certains abus. Mais cela ne suffit pas. Le succès de ces entreprises réside aussi dans l’engagement de tous leurs salariés dans ce service inconditionnel. Enfin, il exige aussi le soutien des actionnaires. En quoi cette philosophie de l’entreprise altruiste peut-elle être une ressource en temps de crise ? Elle bouscule les croyances qui affirment que le bien commun serait réservé aux ONG ou aux organismes non-lucratifs et que le capitalisme est forcément égocentrique. Pourtant, nous avons découvert qu’il est possible de jouir de la performance économique comme une conséquence de la poursuite du bien commun. Nos travaux ont mis des mots sur le vécu de nombreuses entreprises qui fonctionnent déjà de manière altruiste. En mettant la lumière sur elles et sur leurs leaders, nous espérons inspirer de nombreux autres dirigeants à s’autoriser à être en cohérence avec leurs valeurs, et à créer des entreprises qui deviennent une véritable force du progrès social.Il est possible de jouir de la performance économique comme une conséquence de la poursuite du bien commun.